Maîtresse, de Barbet Schroeder (1975)

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Olivier (Gérard Depardieu) et son acolyte Mario (André Rouyer), voyous reconvertis en vendeurs de livres d’art au porte à porte, réussissent à s’introduire chez Ariane (Bulle Ogier). Elle leur promet d’acheter tous leurs livres à condition qu’ils réussissent à régler les problèmes de plomberie de sa salle de bain. Au détour de la conversation, elle leur apprend que l’appartement du dessous appartient à une vieille dame qui est partie en vacances. Ils décident alors de revenir le soir même pour le cambrioler et à leur grande surprise, tombent sur toute une panoplie d’accessoires sadomasochistes. Mais au moment où ils pensent s’échapper, l’entrée de l’appartement s’allume et une dominatrice professionnelle descend d’un escalier qui se déploie du plafond jusqu’au sol : Ariane les retient prisonniers. Et lorsqu’elle intime à Olivier de l’accompagner pour participer à une de ses mise en scènes, le jeune homme tombe amoureux d’elle.

Maîtresse est une histoire d’amour ordinaire qui doit composer avec une passion aussi étrange que dévorante. Au premier étage, Olivier et Ariane vivent une histoire simple et tendre. La vulnérabilité et la chétivité de Bulle Ogier se conjuguent parfaitement à la robustesse virile de Depardieu, et leur relation donne une impression d’équilibre. Mais quand Ariane se maquille, revêt ses pantalons en cuir, enfile ses perruques brunes et descend au sous-sol, elle devient la « Maîtresse », dominatrice sans pitié qui n’hésite pas à infliger les pires souffrances à des « esclaves » qui en redemandent. Elle rivalise d’ingéniosité pour mettre en scène et appliquer ses supplices à une foule de prisonniers reclus dans des cages métalliques, menottés aux parois, dont les membres sont ligaturés mais qui viennent chez elle se soumettre de plein gré.

Avec Maîtresse, Barbet Schroeder explore l’univers méconnu et fantasmé du sadomasochisme et produit un film à la limite du documentaire. « Ce qui m’intéresse c’est d’aller chez les gens, derrière la façade », annonce Olivier au tout début du film. Cette pratique étrange est dévoilée à travers l’œil ingénu d’Olivier, qui tente de comprendre et de s’expliquer la passion d’Ariane. Au fur et à mesure que se renforce leur relation, il cherche à obtenir des explications sur une activité qui dérange la stabilité de son couple, voire le dénature. Mais Ariane reste très évasive et même dans ses rares moments d’épanchement, n’arrive pas à exprimer ce qui se passe de mots, tant les contraires sont inextricables : la souffrance qu’elle inflige aux autres est en même temps l’occasion du don d’un plaisir immense ; la violence bestiale qu’elle déchaîne n’est pas dissociable de l’esthétique aboutie des décors et des accessoires ; les désirs qui témoignent d’un besoin métaphysique le plus ardent s’assouvissent par des entailles sur la peau. La pratique se passe du discours car les mots sont impuissants à pénétrer la chair.

Rien n’est plus profond que la surface : en fixant sa caméra ni devant ni sur mais au bord de la scène, Barbet Schroeder réussit à éviter les écueils du moralisme et de l’obscénité. L’histoire d’amour du premier étage est tout aussi importante dans la narration que l’immixtion dans le sous-sol d’Ariane. Le phénomène du sadomasochisme en apparaît ainsi d’autant plus étrange qu’il s’inscrit dans un quotidien ordinaire.